Ces derniers mois, je me suis souvent retrouvée à essayer d'expliquer pourquoi je vis en hypervigilance. Pourquoi je bascule si facilement en mode survie. Pourquoi il suffit de si peu pour que tout mon corps se referme, que mon empathie disparaisse, et que ma tête commence à faire des plans d'actions pour anticiper tout ce qu'il y a à gérer : les repas, le linge, les rendez-vous médicaux, les devoirs, les demandes de l'école…
Et à chaque fois que j'essayais d'expliquer, je disais la même chose : "Ce n'est pas moi qui ai fait un burn-out. C'est lui."
Dans ma tête, c'était mon compagnon qui avait du mal à s'en remettre. Pas moi. Je tenais bon. Je gérais.
Mais je ne comprenais pas cette panique qui me submergeait à chaque signe de rechute chez lui. Cette sensation d'étouffement. Ce besoin de tout contrôler pour que rien ne s'effondre.
Jusqu'à ce que je réalise quelque chose d'évident, et pourtant invisible pendant si longtemps :
Vivre une grossesse pathologique avec un enfant en bas âge, puis enfanter dans une maison en travaux, avec une entreprise qui vit des rebondissements improbables, le tout avec un compagnon en plein burn-out incapable de prendre le relais sur quoi que ce soit… c'est hard. Très hard.
Et c'est normal — tellement normal — si aujourd'hui, tout mon corps réagit au moindre signe de rechute.
C'est normal si je suis en hypervigilance permanente.
C'est normal si mon système nerveux est encore en alerte.
Parce que moi aussi, j'ai vécu un trauma.
Pas le même que lui. Pas celui qui se voit, qui se nomme, qui donne droit à un arrêt maladie. Mais un trauma quand même. Celui de tenir. De porter. De survivre au quotidien pendant des mois, voire des années.
Avant de parler du trauma invisible du quotidien, je veux d'abord reconnaître quelque chose d'essentiel : l'accouchement lui-même peut être profondément traumatisant.
Et ce n'est pas rare. Pas du tout.
Les recherches montrent qu'une naissance sur trois est vécue comme psychologiquement traumatisante, et environ 4% des femmes et 1% de leurs partenaires développent un syndrome de stress post-traumatique en conséquence.
Dans le monde entier, 6,6 millions de mères et 1,7 millions de pères ou co-parents sont touchés chaque année par un syndrome de stress post-traumatique lié à l'accouchement.
Et ces chiffres ne reflètent que les cas diagnostiqués. Entre 9% et 50% des mères rapportent que leur expérience d'accouchement a été traumatisante.
Un accouchement traumatique a été défini comme l'expérience vécue par une femme d'interactions et/ou d'événements directement liés à l'accouchement qui ont causé des émotions et des réactions accablantes, entraînant des impacts négatifs à court et/ou long terme sur sa santé et son bien-être.
Cela peut être :
Une césarienne d'urgence
Un accouchement prématuré
Des complications médicales (hémorragie, prééclampsie...)
Une sensation de menace pour sa vie ou celle du bébé
Un transfert du bébé en néonatologie
Un manque de respect, de consentement, de soutien
Des violences obstétricales
Une perte de contrôle totale
Un sentiment d'abandon, de solitude face à la douleur
Mais attention : l'expérience traumatisante de la naissance est définie subjectivement. Cela signifie que deux femmes peuvent vivre objectivement le même accouchement, et l'une le vivra comme traumatisant, l'autre non.
Ce n'est pas la "gravité médicale" qui détermine le trauma. C'est ce que tu as ressenti pendant cet événement.
Si tu as vécu un accouchement difficile, voici ce qui peut t'aider :
Mettre des mots sur ce que tu as vécu, c'est essentiel. Raconte ton histoire :
À une sage-femme, une doula, une thérapeute spécialisée
À ton compagnon, si tu te sens en sécurité
Par écrit, dans un journal
Le simple fait de dérouler le fil des événements, de nommer ce que tu as ressenti, peut déjà commencer à dénouer quelque chose.
2. Demande un entretien post-natal de débriefing
Certains hôpitaux et maternités proposent des entretiens de débriefing après un accouchement difficile. Tu peux demander à revoir ton dossier médical, à comprendre ce qui s'est passé, à poser toutes tes questions.
3. Consulte un·e professionnel·le spécialisé·e en trauma périnatal
Le dépistage du syndrome de stress post-traumatique lié à l'accouchement devrait idéalement être effectué dans le premier mois post-partum. Bien qu'il faille avoir des symptômes pendant au moins un mois pour recevoir un diagnostic de SSPT, un questionnaire pourrait être donné plus tôt (par exemple, 2 semaines post-partum), car la détection précoce est essentielle pour un traitement efficace.
Des thérapies spécifiques existent pour traiter le SSPT lié à la naissance, notamment la thérapie par exposition et les thérapies cognitivo-comportementales.
4. Sache que tu n'es pas seule
Si tu vis des symptômes comme :
Des flashbacks de l'accouchement
Des cauchemars récurrents
De l'anxiété intense quand tu penses à la naissance
Une évitement de tout ce qui te rappelle cet événement
De l'hypervigilance
Ce n'est pas de ta faute. Et tu mérites d'être accompagnée.

Mais au-delà du trauma lié à la naissance elle-même, il y a un autre type de trauma dont on parle moins : le trauma du quotidien.
On associe souvent le mot "trauma" à des événements violents, brutaux, ponctuels : un accident, une agression, une catastrophe naturelle, un accouchement traumatique…
Mais la vérité, c'est qu'on n'a pas besoin d'un grand drame pour que notre corps garde des traces profondes.
Parfois, le trauma s'installe en silence. Dans le quotidien. Dans les mois où on tient bon. Dans l'accumulation de tout ce qu'on encaisse sans jamais vraiment s'arrêter.
Le trauma, ce n'est pas seulement ce qui arrive. C'est aussi ce qui ne peut pas sortir.
C'est toutes ces émotions qu'on n'a pas le temps de digérer. Toutes ces peurs qu'on refoule parce qu'il faut avancer. Toute cette charge mentale et émotionnelle qu'on porte seule, jour après jour, sans relais, sans pause.
Et un jour, le corps dit stop. Ou plutôt, il continue de crier, mais d'une autre manière : par l'hypervigilance, l'irritabilité, les crises de panique, l'incapacité à se détendre, les troubles du sommeil…
Quand ton ou ta partenaire s'effondre, on te dit souvent : "Il faut être patiente. Il/Elle a besoin de temps. Tiens bon."
Ce qu'on ne te dit pas, c'est que toi, pendant ce temps-là, tu deviens tout : la maman, le parent qui gère le quotidien, celle qui rassure les enfants, celle qui tient l'entreprise ou le foyer à bout de bras, celle qui doit aussi soutenir émotionnellement celui qui n'en peut plus.
Tu portes ta propre charge, plus la sienne.
Et quasiment personne ne te demande : "Et toi, comment tu vas ?"
Si en plus de tout ça, tu as vécu une grossesse compliquée - alitée, hospitalisée, en angoisse permanente pour ton bébé -, ou un post-partum chaotique, le corps encaisse encore plus.
Parce que la grossesse et le post-partum, ce sont déjà des périodes de vulnérabilité extrême. Le corps se transforme, les hormones fluctuent, le sommeil disparaît, l'identité se réorganise…
Et si pendant cette période, tu n'as pas le soutien dont tu as besoin, si tu dois tout gérer seule, si tu vis en plus dans un environnement instable (travaux, déménagement, problèmes financiers…), le système nerveux n'a pas le temps de se réguler.
Il reste en alerte. En permanence.
Le pire dans tout ça, c'est peut-être l'absence de relais.
Quand ton ou ta partenaire ne peut pas t'aider. Quand ta famille est loin ou absente. Quand tu n'oses pas demander de l'aide parce que tu as intégré qu'il faut "tenir", qu'il faut "être forte", qu'on n'a pas le droit de craquer.
Alors tu continues. Tu te lèves chaque matin. Tu fais les repas, tu changes les couches, tu câlines, tu rassures, tu gères les rendez-vous, tu anticipes tout pour que rien ne déborde.
Mais ton corps, lui, n'oublie rien.
Peut-être que tu te reconnais dans certains de ces signes :
Tu es en alerte permanente. Le moindre imprévu te met en panique. Tu anticipes tout, tout le temps, pour éviter que quelque chose dérape.
Tu as du mal à lâcher prise. Te détendre ? Impossible. Même quand tu as un moment pour toi, ton esprit continue de tourner.
Tu bascules facilement en mode survie. Face à une difficulté, tu passes direct en mode "je gère", sans émotion, comme un robot. L'empathie disparaît. Il n'y a plus que l'action.
Tu es irritable, à fleur de peau. Les petites choses du quotidien te font exploser. Tu n'as plus de patience. Et tu t'en veux.
Tu as peur qu'il recraque. S'il y a eu un burn-out, une dépression, une rechute, tu guettes les signes en permanence. Dès que tu en vois un, tu paniques.
Tu as l'impression de ne jamais pouvoir te reposer. Parce que si tu t'arrêtes, tout va s'effondrer.
Si tu te reconnais dans ces mots, je veux que tu saches quelque chose d'essentiel : ce n'est pas de ta faute. Et tu n'es pas faible. Ton corps réagit normalement à une situation anormale.
Pendant longtemps, j'ai minimisé ce que je vivais. Parce que je n'avais pas fait de burn-out, moi. Parce que je n'avais pas eu d'arrêt maladie. Parce que "je tenais".
Mais tenir, ce n'est pas aller bien.
Le jour où j'ai mis des mots sur ce que je vivais — un syndrome post-traumatique lié à l'accumulation de tout ce que j'ai traversé —, quelque chose s'est dénoué en moi.
J'ai arrêté de me juger. J'ai arrêté de me demander pourquoi je n'arrivais pas à "passer à autre chose". J'ai compris que mon corps avait besoin de temps, de douceur, de soin.
Reconnaître ce trauma, ce n'est pas s'apitoyer sur son sort. C'est simplement valider ce que ton corps a vécu.
C'est dire : "Oui, c'était beaucoup. Oui, j'ai le droit d'être fatiguée. Oui, j'ai le droit de guérir."

La première chose, c'est d'arrêter de te dire que "ce n'est rien", que "d'autres ont vécu pire", que "tu devrais aller mieux maintenant".
Ton vécu est légitime. Ta souffrance est réelle. Et tu as le droit de prendre soin de toi.
À une amie, à une thérapeute, à une doula, à quelqu'un qui saura t'écouter sans juger.
Mettre des mots sur ce que tu vis, c'est déjà commencer à libérer ce qui est coincé à l'intérieur.
3. Régule ton système nerveux
Ton corps est en alerte ? Il a besoin d'apprendre à se détendre. Voici quelques pistes qui m'ont aidée :
Le breathwork avec Zeinab (la respiration consciente) : pour relâcher les tensions profondes et accéder à ce qui est bloqué dans le corps. Cela peut être aussi la danse intuitive ou médecine... tout ce qui permet au corps de s'exprimer librement.
La marche dans la nature : pour réguler le système nerveux par le mouvement doux.
Écrire : laisser sortir, même les pensées qui me font honte "car ce n'est pas moi qui a vécu un burn-out".
Parler avec une doula spécialisée dans le trauma (cela peut être aussi une psy, une thérapeute...).
Je sais, c'est difficile. Surtout quand on a appris à tout gérer seule.
Mais tu mérites d'être soutenue. Tu mérites d'avoir un relais. Tu mérites de ne pas porter tout le poids toute seule.
Que ce soit une aide ménagère (via le CESU - avec une réduction d'impôts), une nounou quelques heures par semaine, une amie qui vient garder les enfants, ou un accompagnement thérapeutique : accepte de recevoir.
La guérison d'un trauma, ce n'est pas linéaire. Il y aura des hauts et des bas. Des jours où tu te sentiras mieux, et d'autres où tout ressurgit.
C'est normal. C'est le chemin.
Sois douce avec toi-même. La "guérison" c'est le chemin de toute une vie, voire de plusieurs vies (personne n'est jamais vraiment guérie).
Vivre un burn-out dans le couple, c'est un choc pour les deux. Même quand un seul s'effondre, l'autre porte tout. Et le corps, lui, encaisse.
Il est essentiel de mettre des mots sur ce qui s'est passé. De reconnaître que toi aussi, tu as traversé quelque chose de difficile. Que ce n'était pas "juste" lui.
Peut-être que vous avez besoin d'un espace pour en parler ensemble. D'un thérapeute de couple. Ou simplement de moments où vous pouvez dire, sans jugement : "Voilà ce que j'ai vécu. Voilà ce que je ressens encore."
Parce que pour avancer ensemble, il faut que les deux réalités soient reconnues.
Si tu es enceinte et que tu lis ces lignes, je veux te dire quelque chose d'important : tu peux prévenir une grande partie de cet épuisement.
Non, tu ne peux pas tout contrôler. Mais tu peux te préparer. Tu peux mettre en place des soutiens avant la naissance. Tu peux anticiper les besoins du post-partum. Tu peux en parler avec ton compagnon, ta famille, ton entourage.
Et surtout, tu peux te faire accompagner.
C'est exactement pour ça que j'accompagne les futurs parents : pour qu'ils puissent avoir les meilleures conditions possibles. Pour réduire le risque de burn-out parental, de séparation, d'épuisement invisible.
Parce que prévenir l'épuisement, c'est déjà prendre soin de la famille qui se construit.
H. Qin et al. (2025) - "The current status of psychological birth trauma in women"
Policy Center for Maternal Mental Health (2025) - "Birth Trauma & PTSD: Understanding Its Origins"
Photos : Dexswaggerboy / Unsplash, Corryne Wooten / Unsplash, Rdne / Pexels
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